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Nouvelle scénario

Florence

 

C’est dans un pays inconnu, au-delà des frontières de la conscience, que vit l’Enfant-Poupée, la petite Arlequine Mélancolique. Fille-Reine de ces contrées imaginaires, où la Réalité n’a pas de prise, elle veille sur ses sujets de Porcelaine du haut de la Montagne de Ronces Argentées, où domine son étrange palais de pierres immaculées : grand et effilé, fait de tours infinies

et de passerelles dentelées, sa muraille s’irise d’arabesques multicolores,

runes autant de protection que de bienveillance pour un peuple aussi fragile que les Danseuses de Cristal.

 

Magicienne, presque Déesse Créatrice, elle esquisse ces runes en peintures d’or et d’argent, de nacre et de lumière, remplaçant les marques effacées, en ajoutant de nouvelles, sans fin, délicatement, adroitement, du matin au soir.

Au sein du Royaume de Porcelaine, elle seule possède la magie et l’habileté

Nayamana 

suffisantes pour tracer ces symboles éphémères et leur insuffler la puissance requise pour porter jusqu’aux Forêts Lointaines qui les séparent

du reste du monde.

 

Elle aime ce qu’elle fait – sans elle, c’est tout un peuple qui s’effondrerait en fragments de terre cuite. Elle est un peu comme leur bonne fée,

la Gardienne de leur Existence.

 

Pourtant, nuit après nuit, des images fantasques s’imposent à son esprit. Celles d’un monde différent, aux règles mystérieuses, aux délices

à peine entrevues. Là, les peaux ne sont pas aussi froides et rigides que le marbre, mais douces et chaudes comme une étincelle dans la nuit. Là, les visages s’étirent en de multiples et merveilleuses expressions, et des lèvres entrouvertes s’échappent des sons moins délicats, moins discrets...

 

Plus vivants.

 

Et l’Enfant-Poupée, Fille-Reine de porcelaine, se prend à rêver de vie, au milieu de ses sujets de terre.

 

Et c’est au moment où le rêve nocturne envahit le jour, où la petite Arlequine Mélancolique atténue la courbe de son pinceau en n’y prêtant

que trop peu d’attention, oublieuse de ses responsabilités face au désir de la découverte, que vient au palais une femme de Bure et de Dentelle, voyageuse d’un pays lointain où les peaux de tissu, déjà, se font plus souples. Dans ses mains, elle tient un curieux paquet de toile qu’elle tend aussitôt à la Reine de Porcelaine dans une élégante révérence.

 

Etonnée, l’Enfant-Poupée hésite, prend le paquet, et découvre sous la toile grossière une peinture qui va à jamais changer sa vision du Monde : sur le tableau aux couleurs vives, un enfant sourit.

 

Ce monde tant rêvé existe. Ou, du moins, un autre qu’elle l’a peut-être également vu en rêve...

Son regard se porte sur ses servantes au teint pâle et à la mine absente, sur le visage de bure de cette femme à l’air revêche, qui lui apporte comme un cadeau cette vision d’une autre vie...

Le rire muet de l’enfant semble l’appeler à autre chose, et elle comprend qu’il est temps pour elle d’abandonner sa tâche. D’oublier les vies

factices de ces poupées de porcelaine pour se tourner vers un avenir différent.

 

Il est temps.

 

Comme si elles avaient compris la décision intérieure de leur Gardienne d’Existence, les servantes s’inclinent et s’écartent, formant une haie d’honneur qui la mènera aux portes du palais et, de là, à la Grande Aventure. Son peuple lui accorde donc sa liberté, pour toutes ces années passées à dessiner sur la pierre...

 

-Merci.

 

Un seul mot, un seul, et la porte est franchie. Ce qu’il adviendra du Royaume de Porcelaine, et de la petite Arlequine Rêveuse, seul l’avenir

nous le dira.

â–²Tableau photographique de Kay-Joon

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