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Arthur et le château

Michèle

Il me semble me souvenir que je n'ai jamais aimé, autrefois, jouer avec un seau et des pelles, ou construire des châteaux de sable. Peut-être savais-je, avec ma prescience d'enfant, ce que pouvaient devenir ces constructions fragiles. Pourtant, en regardant Arthur qui jouait les architectes du Moyen-Age, ajoutant des douves ou des créneaux bancals à l'informe amas de sable qui était, à n'en pas douter, un vrai château fort, j'avais le cœur léger et je profitais pleinement du soleil, de la plage, et de la joie du petit garçon.

Arthur, huit ans, était mon filleul et le fils d'une amie chère, décédée malheureusement l'année dernière. Le père du bambin devait assurer seul  l'éducation de son fils, mais j'avais offert cet été de le relayer pendant une semaine, afin d'offrir quelques jours supplémentaires de vacances à l'enfant.

 

Cela faisait deux jours que nous étions dans cette toute petite ville bretonne, et ces deux jours avaient été parfaits. Il avait fait beau, Arthur avait été d'une humeur idyllique, et j'avais même oublié à quel point il pouvait, parfois, être un enfant difficile et déconcertant.

Lorsqu'il me sembla que le soleil était arrivé assez bas dans le ciel, je décidai qu'il était temps que nous rentrions à notre hôtel, et je levai les yeux de mon livre pour les poser sur Arthur.

Il n'était plus seul. Un homme se tenait auprès de lui, et lui parlait. Alertée, je me levai immédiatement et voulus aller vers eux, mais le très court laps de temps où j'avais perdu de vue l'inconnu pour me redresser avait suffi pour qu'il disparaisse, et je ne le voyais nulle part autour de nous.

Je rejoignis l'enfant.

- Cet homme, qui était-ce, Arthur ? Que te disait-il ?

- Quel homme ?

Arthur me regardait avec des yeux légèrement étonnés, tellement semblables à ceux de Mylène, sa maman. Il était d'une candeur totale.

- Je viens de voir un homme qui te parlait, à l'instant. Ne me dis pas « quel homme Â», voyons.

Arthur ouvrit la bouche, la referma. Puis il répondit :

- Ça, c'est un secret.

- Arthur ! Ce genre de secrets, je n'en veux pas, comprends-tu ? Tu ne dois pas laisser des inconnus te parler, et encore moins leur répondre. Si cela se reproduit, je veux que tu viennes tout de suite auprès de moi. Tu me comprends bien ?

Boudeur, l'enfant grogna, puis ramassa son seau et sa pelle. En jetant un coup d’œil à son Å“uvre, j'eus un nouveau choc. L'amas qu'Arthur tapotait avec sa pelle trois ou quatre minutes auparavant était devenu, en quelques instants et sans que je ne m'aperçoive de rien, une construction très élaborée, un château dont on voyait les moindres détails avec un réalisme impressionnant. Mais mon filleul semblait indifférent et commençait à se diriger vers notre voiture de location ; aussi, je préférai ne pas aborder le sujet.

Toute la soirée, Arthur fut silencieux, et je devins de plus en plus nerveuse. Il me fallut prendre sur moi pour ne pas secouer le petit garçon et le sortir de son mutisme. Nous finîmes la soirée sans jouer comme les soirs précédents à des jeux de société, et je couchai Arthur de bonne heure. Il ne protesta pas.

 

Le lendemain, tout entre nous était redevenu normal. Nous allâmes à la plage l'après-midi, Arthur se baigna puis joua avec son ballon. En fin de journée il se remit à construire un château en poussant le sable et en formant un grand tas vaguement carré, vaguement aplati. Je m'étais installée un peu plus près de lui afin de prévenir toute intrusion indésirable, et je me plongeai de nouveau dans mon livre, toute mon inquiétude envolée.

Mais la même scène que la veille se reproduisit. Je levai les yeux subitement et trouvai mon filleul qui conversait à voix basse avec un inconnu. Je regardai ce dernier avec plus d'attention, son allure me paraissant soudain bizarre. Et en effet, il n'était pas en jeans et Tshirt, ou en maillot comme tout le monde, mais il portait des collants opaques recouverts d'une sorte de chasuble d'un rouge sombre. Le temps de me lever et de rejoindre Arthur, l'homme avait disparu, et le château était redevenu une Å“uvre digne d'un compagnon maçon des anciens temps. De nouveau j’interpellai Arthur et le grondai, mais tout ce que je pus en tirer était que « le chevalier est rentré au château, mais il ne faut pas en parler, c'est un secret Â».

Cette fois-ci, j'étais furieuse, et Arthur plus boudeur que jamais. Je décidai qu'il n'y aurait pas de plage le lendemain. Nous passâmes donc une journée de balades très agréable, coupée par un pique-nique et par la visite d'un zoo qui rendit à Arthur toute sa bonne humeur.

 

Le jour suivant, qui devait être le dernier de notre séjour avant le retour, nous retournâmes à la plage. J'espérais bien que la scène des jours précédents ne se renouvellerait pas. Mais je fus déçue. Je revis l'homme, qui était maintenant armé d'une épée, d'un bouclier rond, et coiffé d'un casque de fer rond et pointu, totalement ridicule. Je pestai contre cet homme qui se déguisait pour séduire un enfant. Le château était magnifique, et il me semblât aussi qu'il était plus grand que les autres fois. Peut-être utilisait-il un moule ? Je ne comprenais pas, mais en fait, je ne me souciai même plus de comprendre.  J'étais enragée, hors de moi, je voulais que cet homme disparaisse et que le château redevienne un simple tas de sable, qu'Arthur soit un enfant qui joue normalement et non un gamin exaspérant. Je me levai et bien entendu, comme à chaque fois, je ne pus pas approcher ce ridicule soldat moyenâgeux. Mais je me figeai soudain. Arthur, lui aussi, avait disparu. Je balayai tous les alentours, paniquée, sans l'apercevoir. Mais j'entendis alors un rire que je connaissais bien. Un rire qui venait du sol. De la direction du château. Un rire qui ressemblait à celui d'Arthur. Un autre rire, beaucoup plus méchant, beaucoup plus démoniaque, qui se moquait de moi. Dans la tour du château de sable, je vis avec stupéfaction toute une assemblée, tout un petit monde de paysans et de soldats, de valets et de seigneurs, habillés comme à la cour de Charlemagne. Arthur était au milieu d'eux, et s'entraînait à manier l'épée, avec d'autres gamins. Les yeux écarquillés, je regardais la scène, choquée, sans réaction. Et soudain, ma vision se brouilla. Le château se fondit peu à peu, léché par l'écume des vagues qui arrivait jusqu'à moi. Tout le petit monde submergé se débattait et criait de désespoir. Bientôt, il n'y eut plus qu'un tas de sable.

Il faisait nuit noire.

Et j'étais seule sur la plage.

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